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Yourcenar Marguerite,

biographie_yourcenarpseudonyme de CLEENEWERCK DE CRAYENCOUR, Marguerite, Antoinette, Jeanne, Marie, Ghislaine ; écrivain, née à Bruxelles le 8 juin 1903, décédée à Mount Desert Island (Maine, États-Unis) le 17 décembre 1987, acquiert la nationalité américaine en 1947.

Les origines

Marguerite de Crayencour est née « d'un Français Michel Cleenewerck de Crayencour, appartenant à une vieille famille du Nord [Lille], et d'une Belge Fernande de Cartier de Marchienne, de Suarlée, Namur dont les ascendants avaient été durant quelques siècles établis à Liège, puis s'étaient fixés dans le Hainaut » (Souvenirs pieux, Paris, 1974, p. 11). Des deux côtés, les ascendants sont des notables et des propriétaires fonciers qui participèrent au développement industriel du XIXe siècle et, notamment, à celui des charbonnages de la région lilloise et du bassin de la Sambre-Meuse. La mère, Fernande de Cartier, meurt des suites de l'accouchement de ce premier enfant, onze jours après sa naissance. Le père vend l'hôtel de maître de l'avenue Louise acquis pour l'événement et rejoint la propriété familiale et son château en France, au Mont-Noir, près de Bailleul. Marguerite y passera une enfance privilégiée – propriété d'environ cent hectares dont dépendaient trois cents fermes en baillage –, mais assez solitaire et fort proche des animaux et de la nature, ce qui justifiera sans doute ses engagements écologiques qui iront grandissant jusqu'à la fin de sa vie.

L'enfance

Contrairement à son demi-frère, né d'un premier mariage du père, la petite Marguerite ne fréquente pas l'école du village de Saint-Jans-Cappel dont dépend la propriété du Mont-Noir. Curieuse naturellement, elle dévore les livres de la bibliothèque paternelle et lit chaque jour à haute voix avec son père les grandes œuvres de la littérature (Ibsen, Maeterlinck, Lagerlöf, Shakespeare, Homère, Racine, Dante, Andersen...). À Paris (dès 1911) puis à Londres (en 1914), elle élargit son répertoire littéraire et découvre les musées. Au British Museum, l'enfant de onze ans voit pour la première fois un buste de l'empereur Hadrien. Elle s'initie seule à l'étude du grec, du latin et de l'italien et, avec l'aide de son père, à celle de l'anglais. Elle tente la première partie du baccalauréat en latin-grec à seize ans, mais, ne remportant que la mention « passable », elle renonce à poursuivre.

Les débuts

Un premier texte publié à compte d'auteur à dix-huit ans (Le Jardin des Chimères, Perrin, 1921, poème dialogué sur la chute d'Icare), signé d'un sibyllin « Marg Yourcenar » obtenu par anagramme de son patronyme, remporte un petit succès, ce qui encourage la jeune Marguerite à exhumer des poèmes de jeunesse (Les Dieux ne sont pas morts, Sansot, 1922). Cet engageant début la fait rêver à un grand roman, Remous, qui brasserait toutes ses préoccupations et exploiterait des recherches généalogiques effectuées sur ses familles. Mais, consciente de son manque d'expérience et des difficultés de l'entreprise, elle détruit le manuscrit après en avoir sauvé trois fragments (D'après Dürer, D'après Gréco et D'après Rembrandt) qui seront réunis plus tard sous le titre La Mort conduit l'attelage (Grasset, 1934). C'est de ce recueil qu'émaneront les œuvres essentielles futures puisque Yourcenar n'arrêtera pas de remettre sur le métier ces projets de jeunesse, ne désirant pas, comme elle le dit, « changer de fantômes » (Lettre à Alain Bosquet du 8 juillet 1964, dans Lettres à ses amis et quelques autres, Paris, 1995, pp. 203-204).


Les œuvres

Le premier livre qui impressionne la critique est Alexis ou le traité du vain combat (Au Sans Pareil, 1929), long aveu malaisé de son homosexualité qu'un jeune homme adresse à sa femme sous forme de lettre d'adieu. Premier exemple de « portrait d'une voix » et sujet audacieux pour l'époque, surtout traité par une jeune femme. Des travaux alimentaires (biographie de Pindare, traduction de Waves de V. Woolf) ou ambitieux (La Nouvelle Eurydice, nouvelle tentative d'écrire un roman « tel qu'il convient ») et quelques essais jalonnent les années 1930 d'où n'émergeront que deux textes marquants : le seul roman engagé politiquement, Denier du rêve (1934, Grasset), racontant l'attentat manqué du Duce à Rome, et le recueil de textes en prose poétique, Feux, tout entier dévoué à la passion absolue et dévorante (Grasset, 1936). Un recueil de nouvelles (Nouvelles orientales, Gallimard, 1938) et un nouveau récit conçu comme le « portrait d'une voix » (Le Coup de grâce, Gallimard, 1939), racontant un échec amoureux dans le décor des guerres antibolcheviques des pays baltes, seront encore édités avant le départ de l'auteur aux États-Unis en 1939. Avec Nouvelles orientales et Feux, Les Songes et les sorts qui regroupent le récit de rêves récurrents, sont les trois œuvres dues à la longue fréquentation du poète et psychanalyste grec Andreas Embiricos qui avait recueilli la jeune femme désespérée et affaiblie par le refus qu'André Fraigneau, alors lecteur chez Grasset, opposa à son amour.

L'exil

Ce départ pour les États-Unis marque une rupture non seulement dans la vie mais aussi dans la carrière de Marguerite Yourcenar : elle abandonne en Europe des expériences amoureuses douloureuses et tourne le dos à une œuvre qui en témoigne trop, même si les éléments personnels s'y trouvent noyés parmi des faits réels et reculés dans le passé, et qu'elle réussit toujours remarquablement à éviter l'anecdotique. Les premières années d'exil seront celles d'un écrivain qui n'écrit pas et qui, pour la première fois, est condamné à travailler pour vivre. L'auteur, qui a épuisé la veine autobiographique, s'oriente désormais hors d'elle, vers la culture et l'histoire, surtout antique (Électre, Le Minotaure, Alceste, ...), et finira par proposer des œuvres théâtrales. L'Amérique est aussi, pour le futur auteur de Mémoires d'Hadrien, une manne exceptionnelle de documentation grâce à la richesse de ses bibliothèques, notamment celle de la Yale University où Yourcenar passe le plus clair de son temps libre.

Les personnages

La fin de la guerre en Europe ne ramène pas Marguerite Yourcenar qui a découvert les charmes de l'île des Monts Déserts (Maine) qui lui permet de rejoindre, bien au-delà de l'histoire, la géologie. Cette île, située à la pointe nord des États-Unis, la rend à la nature de son enfance et lui fournit la paix de l'écriture et la rassurante protection d'une amie dévouée : Grace Frick. En 1947, elle acquiert la nationalité américaine et son nom de plume en guise de patronyme officiel. Une malle arrivée en janvier 1949 ramène à la surface un projet d'écriture autour d'Hadrien. Vingt-cinq ans de recherches et de réflexions sur l'empereur romain aboutiront à un nouveau « portrait de voix », rédigé à la première personne, qui révélera l'auteur au monde littéraire (Mémoires d'Hadrien, Plon, 1951). Ce sera l'occasion d'un premier retour en Europe après plus de onze années d'absence. Désormais, la vie de Yourcenar sera partagée entre l'Europe et l'Amérique, l'écriture et les voyages. Une déjà longue habitude de l'ascèse et des exercices tantriques, une constante volonté de maîtrise de soi et d'ouverture sur le monde poussent l'auteur à réécrire l'histoire de Zénon – le D'après Dürer de sa jeunesse – et à en faire un roman qui transpose dans la Flandre de la Renaissance et l'histoire d'un philosophe, médecin des pauvres et alchimiste, l'effort fait sur soi depuis toujours pour mourir un peu moins sot qu'on n'est né. L'Œuvre au Noir (Gallimard, 1968) indique déjà, par l'allusion à la première étape alchimique, le pessimisme qui saisit alors l'écrivain face à l'état du monde. Si dix-sept ans plus tôt, elle croyait encore qu'une personnalité de la sagesse et de l'envergure d'Hadrien pouvait sauver l'univers, elle ne le croit désormais plus et son Zénon se suicidera en prison pour échapper au bûcher de l'Inquisition. Le livre remporte le Prix Fémina au premier tour et à l'unanimité et connaît un immédiat et vif succès en pleine révolte estudiantine de mai 1968. Cet accueil confirme que, au-delà de son carcan historique, le roman s'adresse directement à l'humain qui sommeille en chacun de nous. Comme l'empereur du IIe siècle, il nous interpelle de plain-pied car, pour Yourcenar, tous deux sont des « hommes qui comme nous croquèrent des olives, burent du vin, s'engluèrent les doigts de miel, luttèrent contre le vent aigre et la pluie aveuglante et cherchèrent en été l'ombre d'un platane, et jouirent, et pensèrent, et vieillirent, et moururent » (Mémoires d'Hadrien, Paris, 1951, p. 332). La dernière figure de héros sera celle de Nathanaël d'Un homme obscur, petit roman qui constitue une sorte de testament littéraire, également né de la réécriture d'un des trois fragments de La Mort conduit l'attelage (D'après Rembrandt, dont une partie fera l'objet d'Une belle matinée). La troisième nouvelle, D'après Gréco, donnera lieu, en 1981, à Anna, soror..., récit d'un inceste entre Miguel et sa sœur Anna. Dépouillé cette fois de toute culture, se laissant ballotter par les hasards de l'existence, ignorant la rancœur comme l'envie, Nathanaël, sorte de héros sans éclat, traverse sa courte vie comme s'il avait toujours su que vivre n'était qu'aller vers la mort. La sienne est l'occasion d'une fusion totale avec la nature égale au sentiment mystique de l'auteur qui considérait d'abord la Terre comme la Mère. Le livre, rédigé entre 1978 et 1981, clame le pessimisme grandissant de son auteur : après l'empereur optimiste, mais qui ne put maintenir totale la paix dans son empire, en passant par le médecin-philosophe qui « cinquante-huit fois, (...) avait vu l'herbe du printemps et la plénitude de l'été » et pour qui « il importait peu qu'un homme de cet âge vécût ou mourût » (L'Œuvre au Noir, Paris, 1968, p. 244), Nathanaël apparaît comme une ombre sans projet, sans espoirs de réalisation personnelle, sans avenir, sans velléités d'avoirs ; un homme simple dont le trajet va de la naissance à la mort, de la vie au néant, de la Mère traversée à la Mère retrouvée.


 

 

La consécration

Première grande distinction, Marguerite Yourcenar est élue comme membre étranger à l'Académie royale de Langue et de Littérature française de Belgique en 1970. Après le bref voyage en Europe pour sa réception, elle rejoint pour une dizaine d'années son île américaine y étant retenue par la maladie incurable de sa compagne Grace Frick devenue sa traductrice vers l'anglais. C'est alors qu'elle entreprend une trilogie sur l'histoire de sa famille et la sienne (Le Labyrinthe du monde). Souvenirs pieux (Gallimard, 1974) – titre repris à ces images pieuses qui évoquent les morts – raconte la vie de sa famille maternelle et plonge dans la Belgique du XIXe siècle. C'est l'occasion de ramener à la mémoire l'œuvre de notre compatriote Octave Pirmez, un de ses grands-oncles. Suit, en 1977, Archives du Nord – titre repris aux archives de Lille – qui retrace l'histoire de sa famille paternelle française jusqu'à sa naissance. Ici, le récit débute au commencement du monde, au moment où la terre ne porte pas encore l'homme, ce « singe nu », cet « assassin des arbres », ce « prédateur-roi ». La mort de Grace Frick, en novembre 1979, interrompt cette existence sédentaire et permet un nouveau périple en Europe, de nouvelles rencontres et une envie de revivre qui éloigne un temps de l'écriture. Quoi, l'Éternité ?, dernier tome de la trilogie qui devait mettre en scène la petite Marguerite, est rédigé sporadiquement. Il paraîtra inachevé et de manière posthume et livrera, finalement, moins de choses sur l'auteur et son œuvre que ce à quoi on eût pu s'attendre. Honneurs et titres pleuvent sur la femme de lettres devenue, en l98l, la première Immortelle du quai Conti. Légion d'honneur (grade d'officier et de commandeur). Ordre du Mérite, Ordre de Léopold, honoris causa et prix divers consacrent une œuvre qui échappe au temporel et aux diverses modes du siècle, fournit une représentation de l'humain située « au-dessus de la mêlée » et touche au plus profond de la nature de l'homme par-delà l'anecdotique et le pittoresque de l'Histoire. Une œuvre qui, quel que soit le genre adopté (théâtre, essai, roman, poésie, traduction, correspondance...), interpelle parce qu'elle parle à la conscience, au cœur et à l'âme, parce qu'elle s'est libérée des carcans et des dogmes et raconte tout simplement comment utiliser au mieux ce laps de temps qu'est la vie, ce très bref moment entre l'humain qui vagit et l'humain qui se tait.


La fin

Marguerite, désormais Yourcenar, disparaît le 17 décembre 1987 des suites d'une hémorragie cérébrale survenue à la veille d'un nouveau départ vers l'Europe, l'Inde et le Népal. Ses cendres sont inhumées dans le petit cimetière de Somesville de l'île des Monts Déserts. Sur la dalle qui les recouvre, elle a fait graver une phrase de son héros Zénon : « Plaise à Celui qui Est peut-être de dilater le cœur humain à la mesure de toute la vie » (L'Œuvre au Noir, Paris, 1968, p. 16). Ce vœu écologique d'amour universel envers toutes les espèces (humaine, animale, végétale et minérale) rejoint son testament qui délègue ses biens à des organisations de conservation de la nature et d'aide aux démunis. Désormais le « Trust Petite Plaisance » gère sa maison comme un musée accessible au public durant l'été. Ses archives ont été déposées à la Houghton Library de l'Université de Harvard.
Michèle Goslar [Extrait de la Nouvelle Biographie Nationale, tome 8, Bruxelles, 2005, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, pp. 391-394.]


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