Les Amis
Marguerite Yourcenar eut de très nombreux amis, notamment à la suite de rencontres faites durant ses multiples voyages. Ne retenons ici que ceux qui comptèrent vraiment et qui laissèrent, pour la plupart, des traces dans l’œuvre.
Jeanne de Vietinghoff
D’abord amie de sa mère au pensionnat, ensuite proche de son père, qui la vit pour la première fois sous les traits de demoiselle d’honneur le jour de son mariage avec Fernande, Jeanne de Vietinghoff fut un modèle pour Marguerite Yourcenar. Non seulement un modèle par ses qualités humaines (intelligence, harmonie, beauté…) mais aussi un modèle affectif : Jeanne avait épousé un homosexuel dont elle eut un enfant et avec qui elle resta unie jusqu’à sa mort. Née à Bruxelles, d’un Belge (Bricou) et d’une Hollandaise (Storme de Grave), Jeanne épouse un musicien originaire de Lettonie, Conrad de Vietinghoff. Yourcenar s’inspirera du couple pour évoquer le personnage d’Alexis. Menant leurs vies chacun de leur côté, Michel de Crayencour et elle ne se quitteront jamais tout à fait, résidant toujours à proximité et se retrouvant, à la fin de leur vie, soignés par le même Docteur Roux à Lausanne. Écrivain, auteur de maximes, Jeanne publia plusieurs livres marqués par la figure de Dieu. Yourcenar évoquera Jeanne et l’affection qu’elle lui voue à la fois dans La Nouvelle Eurydice et dans Quoi ? L’Éternité. Elle lui consacra aussi un « tombeau » littéraire et sept sonnets intitulés « Sept poèmes pour Isolde morte », témoins de la séduction qu’exerça Jeanne sur elle. Jeanne mourut à Lausanne en 1926.
Lucia Kiriakos
Rencontrée en Grèce durant les années 1930, Lucia Kiriakos, Athénienne de grande beauté, est une amie proche de Marguerite Yourcenar. Elles entreprennent ensemble plusieurs voyages en Autriche et se fréquentent jusqu’au départ de Marguerite pour l’Amérique en 1939. Engagée comme infirmière pendant la guerre, Lucia meurt dans le bombardement de Jannina durant Pâques 1941. Marguerite Yourcenar lui dédicace une brève épitaphe : « Le ciel de fer s’est abattu / Sur cette tendre statue ».
Grace Frick
L’écrivain rencontre l’Américaine Grace Frick à Paris en 1937. Elles entreprennent immédiatement un tour d’Europe suivi d’un long séjour aux États-Unis. Deux ans plus tard, Grace invite Marguerite à la rejoindre à New York pour fuir la guerre. Elle y reste jusqu’en 1951, bien après la fin des conflits. Entre temps, Marguerite Yourcenar obtient la nationalité américaine. En 1950, elles acquièrent ensemble Petite Plaisance, une maison sur l’île des Monts-Déserts (Maine), qui devient le port d’attache de l’écrivain. Grace abandonne ses projets de doctorat pour servir l’œuvre de Marguerite Yourcenar dont elle devient la traductrice. Première à endosser une charge de recteur (administratif) d’un collège en Amérique, elle abandonne aussi cette carrière pour se consacrer à celle de sa compagne. Grace développe un cancer dès 1958, qui se généralise à partir de 1963. Jusqu’en 1979, Grace lutte sans relâche contre le mal, ne cédant qu’en novembre 1979, laissant Marguerite Yourcenar désemparée devant les tâches quotidiennes dont elle l’avait toujours déchargée. Une dalle, au cimetière de Somesville, recouvre ses cendres et porte l’inscription latine extraite de Mémoires d’Hadrien : « Hospes comesque » (« Elle est l’hôte et la compagne »).
André Fraigneau
Vers 1930, elle rencontre André Fraigneau chez Grasset où il exerce comme lecteur convaincu de la valeur de la jeune écrivain dont il a fait publier le premier roman : La Nouvelle Eurydice et dont il ressort des « refusés » le Pindare. Si Marguerite s’éprend de Fraigneau, celui-ci la rejette violemment, malgré son admiration pour son talent d’écrivain. Yourcenar rendra compte de cette déplorable expérience dans son récit Le Coup de grâce, publié en 1939, au moment de quitter l’Europe pour l’Amérique.
Andreas Embiricos
Yourcenar fréquente assidûment une « bande » d’intellectuels grecs qui hante Chalkis (île d’Eubée) dans les années 1930. On y trouve Dimaras, Seferis, Katsimbalis, Lucia Kiriakos… et Andreas Embiricos. Ce dernier, poète et psychanalyste, est aussi un riche armateur. Touché par l’état dans lequel l’a mise l’échec sentimental vécu avec Fraigneau, il entraîne la jeune femme dans une longue croisière sur le Bosphore et lui conseille de tenir un journal et de noter ses rêves. Ajouté à des séjours en Grèce et dans les Balkans, cette « cure » donnera lieu à plusieurs ouvrages : Feux (où sont repris des extraits du journal intime), Les Songes et les sorts (sur ses rêves) et Nouvelles orientales (sur les légendes entendues durant ce périple). Ils continuent à se voir et à se fréquenter à Paris, mais se séparent en 1937. Un souvenir de cette séparation trône à Petite Plaisance, au-dessus du lit de Marguerite Yourcenar : l’estampe d’un cheval ailé qui représentait pour l’auteur Pégase s’envolant vers le ciel.
Jerry Wilson
Jerry Wilson intervient dans la vie de Yourcenar peu avant le décès de Grace Frick. Il est venu à Petite Plaisance avec TF1 (télévision française privée) pour tourner « L’île heureuse ». L’auteur s’en éprend et s’en fait un compagnon de voyage, recommençant ses périples interrompus plus de dix ans par l’état de sa compagne. Elle revit auprès de ce nouveau compagnon pensant avoir enfin trouvé « l’intelligent amour » qui n’implique plus les sens. Mais Jerry rencontre Daniel et l’impose durant le voyage en Inde de 1985, ce qui créera d’importants problèmes, Daniel se montrant particulièrement irrespectueux de Marguerite Yourcenar. Jerry tombe malade à Goa et le voyage est interrompu pour rejoindre au plus vite les États-Unis où on diagnostique le sida. En février 1986, Jerry décède à l’hôpital de Laënnec. Marguerite Yourcenar en souffrira tant qu’elle refera les voyages faits avec Jerry, comme elle avait remis ses pas dans ceux de Grace Frick.
Et quelques autres...
Il est certain que Yourcenar eut bien plus d’amis que ceux évoqués ici, ainsi elle se fit accompagner pour quelques voyages par la joyeuse Monicah Njongue, infirmière rencontrée lors de son hospitalisation à Nairobi, mais qui refusa d’abandonner son travail pour suivre l’auteur dans de nouveaux voyages. Beaucoup d’intellectuels furent des amis de l’auteur : Georges Sion, Jacques Errera, Suzanne Lilar, Jean Cocteau, Jean Lambert (beau-fils de Gide), Matsie Hadjilazaro (épouse d’Embiricos), Everett Austin (du Musée de Hartford), James Baldwin, Natalie Barney, Loulou de Borchgraeve, Borgès, Carlo Bronne, Emmanuel Boudot-Lamotte, Jeanne Carayon (correctrice chez Gallimard), Jean Chalon, Yannick Guillou, Maurice Dumay, Edmond jaloux… et des dizaines d’autres qu’il serait impossible de présenter ici. Elle se liait aussi très facilement à des gens simples, comme son voisin jardinier ou le charpentier et fêtait Halloween ou les Pâques avec les enfants de Northeast Harbor.