La Famille
Fernande de Cartier de Marchienne
Mère de Marguerite Yourcenar, Fernande de Cartier de Marchienne est originaire de la région de Namur (Suarlée). Elle est née le 23 février 1872 et est issue d’une famille nombreuse. Elle réside à Suarlée jusqu’à la mort de son père, survenue en 1890. Elle s’installe deux ans plus tard à Bruxelles, rue d’Ecosse, avec sa gouvernante, « le Fräulein », son frère Théobald et sa sœur infirme, Jeanne. Une douairière amie d’Ostende la présente à Michel de Crayencour, veuf désœuvré. Ils s’apprécient et se marient à Bruxelles le 8 novembre 1900 après un long voyage « d’accordailles » en Allemagne, peu courant à l’époque. Ils voyagent énormément et vivent dans l’insouciance des rentiers jusqu’à la naissance de leur fille. Fernande choisit d’accoucher à Bruxelles, près de sa famille. Marguerite naît le 8 juin 1903. Souffrant de péritonite et de fièvre puerpérale, elle meurt onze jours plus tard. Elle est inhumée dans le caveau de la famille de Cartier à Suarlée.
Michel René Cleenewerck de Crayencour
Père de Marguerite Yourcenar, Michel de Crayencour est originaire de Lille. Durant sa jeunesse il passe les hivers à Lille et les étés au Mont-Noir où sa famille possède un « château ». Dès qu’il en a la possibilité, il échappe à la vie de propriétaire terrien et s’engage dans l’armée. Il en déserte à deux reprises pour fuir des dettes de jeux. Il se réfugie en Angleterre où il vit un amour passionné auquel met fin son père qui lui propose un mariage avec une jeune divorcée : Berthe de La Grange. Un enfant naît de ce mariage : Michel Fernand. Berthe meurt prématurément en 1899 à Ostende à l’âge de 38 ans. À Ostende, Michel est présenté à Fernande de Cartier de Marchienne, célibataire de 27 ans, et l’épouse à Bruxelles en 1900. Après trois ans de voyages, la naissance de leur fille Marguerite entraîne la mort de Fernande. Michel a alors 50 ans. Michel s’occupe personnellement de l’éducation de sa fille et l’emmène dans ses nombreux déplacements après une enfance passée au Mont-Noir dans la propriété de sa grand-mère paternelle. Il meurt à Lausanne en 1929 à la suite d’un cancer de la gorge et est inhumé à Bruxelles à la demande de sa troisième épouse Christine Brown-Hovel.
Michel Fernand Cleenewerck de Crayencour
Selon la tradition familiale, le premier-né de chaque fratrie se prénomme Michel. Né le 17 juillet 1885 à Tournai, Michel Fernand (appelé « le petit Michel » par Marguerite Yourcenar) est issu du premier mariage de Michel de Crayencour. Le couple, préoccupé de voyager et de se divertir, le confie à diverses institutions et à la grand-mère paternelle, Noémie Dufresne, qui règne sur le Mont-Noir. Lorsque naît Marguerite, Michel Fernand a 18 ans et n’apprécie, pas plus que sa grand-mère, la nouvelle venue, menace du partage de l’héritage paternel. La petite fille ne l’affectionne guère plus car il soutient des valeurs traditionnelles qu’elle ne partage pas. Il fait carrière dans les affaires, mais sans beaucoup de réussite. Il perd ainsi l’héritage maternel de sa demi-sœur dans des placements à risque, ce qui ne fait qu’aggraver leur mésentente.
Marguerite Yourcenar refuse tout contact avec son demi-frère et sa belle famille dès les années 1930. Elle s’adresse néanmoins, plus tard, à son fils cadet, Georges, lors de la rédaction d’Archives du Nord, dont le sujet est sa famille paternelle. Michel Fernand reçoit le titre de chevalier du gouvernement belge en 1957. Il meurt en 1966. La famille de Crayencour, qui vit actuellement en Belgique, est composée des descendants directs de Michel Fernand.
Noémie Dufresne
Grand-mère paternelle de Marguerite, « Noémi » n’est guère appréciée par l’enfant du Mont-Noir. « Abîme mesquin », comme elle la qualifiera dans son œuvre, Noémie est décrite sous des traits peu flatteurs, ce qui s’explique sans aucun doute par le rejet de ce second enfant de son fils. Noémie Dufresne gérait avec son mari, Michel Charles de Crayencour, un très vaste domaine dont dépendaient 300 fermes en baillage.
Fernand (dit Rémo) et Octave Pirmez
Les frères Pirmez, branche maternelle de Yourcenar, sont largement évoqués dans Souvenirs pieux. Le premier à cause de son destin (il se suicide en pleine jeunesse) révélé par l’écrivain alors que la famille avait tenté d’étouffer l’affaire en avançant l’accident. Le second en tant que penseur et écrivain belge oublié à qui Yourcenar fournira une seconde chance grâce aux chapitres qu’elle lui consacre dans sa trilogie. Il est évident qu’elle apprécie la poésie et les convictions des deux frères, passions et engagements qu’elle ne trouva pas auprès de sa famille paternelle, excepté son père.
Et les autres...
De nombreux autres parents sont évoqués dans la trilogie, Le Labyrinthe du Monde, où Marguerite Yourcenar reconstitue l’histoire de ses familles. Elle manifeste, cependant, une tendance à leur préférer des personnages de la peinture ou de la littérature.
Les Amis
Marguerite Yourcenar eut de très nombreux amis, notamment à la suite de rencontres faites durant ses multiples voyages. Ne retenons ici que ceux qui comptèrent vraiment et qui laissèrent, pour la plupart, des traces dans l’œuvre.
Jeanne de Vietinghoff
D’abord amie de sa mère au pensionnat, ensuite proche de son père, qui la vit pour la première fois sous les traits de demoiselle d’honneur le jour de son mariage avec Fernande, Jeanne de Vietinghoff fut un modèle pour Marguerite Yourcenar. Non seulement un modèle par ses qualités humaines (intelligence, harmonie, beauté…) mais aussi un modèle affectif : Jeanne avait épousé un homosexuel dont elle eut un enfant et avec qui elle resta unie jusqu’à sa mort. Née à Bruxelles, d’un Belge (Bricou) et d’une Hollandaise (Storme de Grave), Jeanne épouse un musicien originaire de Lettonie, Conrad de Vietinghoff. Yourcenar s’inspirera du couple pour évoquer le personnage d’Alexis. Menant leurs vies chacun de leur côté, Michel de Crayencour et elle ne se quitteront jamais tout à fait, résidant toujours à proximité et se retrouvant, à la fin de leur vie, soignés par le même Docteur Roux à Lausanne. Écrivain, auteur de maximes, Jeanne publia plusieurs livres marqués par la figure de Dieu. Yourcenar évoquera Jeanne et l’affection qu’elle lui voue à la fois dans La Nouvelle Eurydice et dans Quoi ? L’Éternité. Elle lui consacra aussi un « tombeau » littéraire et sept sonnets intitulés « Sept poèmes pour Isolde morte », témoins de la séduction qu’exerça Jeanne sur elle. Jeanne mourut à Lausanne en 1926.
Lucia Kiriakos
Rencontrée en Grèce durant les années 1930, Lucia Kiriakos, Athénienne de grande beauté, est une amie proche de Marguerite Yourcenar. Elles entreprennent ensemble plusieurs voyages en Autriche et se fréquentent jusqu’au départ de Marguerite pour l’Amérique en 1939. Engagée comme infirmière pendant la guerre, Lucia meurt dans le bombardement de Jannina durant Pâques 1941. Marguerite Yourcenar lui dédicace une brève épitaphe : « Le ciel de fer s’est abattu / Sur cette tendre statue ».
Grace Frick
L’écrivain rencontre l’Américaine Grace Frick à Paris en 1937. Elles entreprennent immédiatement un tour d’Europe suivi d’un long séjour aux États-Unis. Deux ans plus tard, Grace invite Marguerite à la rejoindre à New York pour fuir la guerre. Elle y reste jusqu’en 1951, bien après la fin des conflits. Entre temps, Marguerite Yourcenar obtient la nationalité américaine. En 1950, elles acquièrent ensemble Petite Plaisance, une maison sur l’île des Monts-Déserts (Maine), qui devient le port d’attache de l’écrivain. Grace abandonne ses projets de doctorat pour servir l’œuvre de Marguerite Yourcenar dont elle devient la traductrice. Première à endosser une charge de recteur (administratif) d’un collège en Amérique, elle abandonne aussi cette carrière pour se consacrer à celle de sa compagne. Grace développe un cancer dès 1958, qui se généralise à partir de 1963. Jusqu’en 1979, Grace lutte sans relâche contre le mal, ne cédant qu’en novembre 1979, laissant Marguerite Yourcenar désemparée devant les tâches quotidiennes dont elle l’avait toujours déchargée. Une dalle, au cimetière de Somesville, recouvre ses cendres et porte l’inscription latine extraite de Mémoires d’Hadrien : « Hospes comesque » (« Elle est l’hôte et la compagne »).
André Fraigneau
Vers 1930, elle rencontre André Fraigneau chez Grasset où il exerce comme lecteur convaincu de la valeur de la jeune écrivain dont il a fait publier le premier roman : La Nouvelle Eurydice et dont il ressort des « refusés » le Pindare. Si Marguerite s’éprend de Fraigneau, celui-ci la rejette violemment, malgré son admiration pour son talent d’écrivain. Yourcenar rendra compte de cette déplorable expérience dans son récit Le Coup de grâce, publié en 1939, au moment de quitter l’Europe pour l’Amérique.
Andreas Embiricos
Yourcenar fréquente assidûment une « bande » d’intellectuels grecs qui hante Chalkis (île d’Eubée) dans les années 1930. On y trouve Dimaras, Seferis, Katsimbalis, Lucia Kiriakos… et Andreas Embiricos. Ce dernier, poète et psychanalyste, est aussi un riche armateur. Touché par l’état dans lequel l’a mise l’échec sentimental vécu avec Fraigneau, il entraîne la jeune femme dans une longue croisière sur le Bosphore et lui conseille de tenir un journal et de noter ses rêves. Ajouté à des séjours en Grèce et dans les Balkans, cette « cure » donnera lieu à plusieurs ouvrages : Feux (où sont repris des extraits du journal intime), Les Songes et les sorts (sur ses rêves) et Nouvelles orientales (sur les légendes entendues durant ce périple). Ils continuent à se voir et à se fréquenter à Paris, mais se séparent en 1937. Un souvenir de cette séparation trône à Petite Plaisance, au-dessus du lit de Marguerite Yourcenar : l’estampe d’un cheval ailé qui représentait pour l’auteur Pégase s’envolant vers le ciel.
Jerry Wilson
Jerry Wilson intervient dans la vie de Yourcenar peu avant le décès de Grace Frick. Il est venu à Petite Plaisance avec TF1 (télévision française privée) pour tourner « L’île heureuse ». L’auteur s’en éprend et s’en fait un compagnon de voyage, recommençant ses périples interrompus plus de dix ans par l’état de sa compagne. Elle revit auprès de ce nouveau compagnon pensant avoir enfin trouvé « l’intelligent amour » qui n’implique plus les sens. Mais Jerry rencontre Daniel et l’impose durant le voyage en Inde de 1985, ce qui créera d’importants problèmes, Daniel se montrant particulièrement irrespectueux de Marguerite Yourcenar. Jerry tombe malade à Goa et le voyage est interrompu pour rejoindre au plus vite les États-Unis où on diagnostique le sida. En février 1986, Jerry décède à l’hôpital de Laënnec. Marguerite Yourcenar en souffrira tant qu’elle refera les voyages faits avec Jerry, comme elle avait remis ses pas dans ceux de Grace Frick.
Et quelques autres...
Il est certain que Yourcenar eut bien plus d’amis que ceux évoqués ici, ainsi elle se fit accompagner pour quelques voyages par la joyeuse Monicah Njongue, infirmière rencontrée lors de son hospitalisation à Nairobi, mais qui refusa d’abandonner son travail pour suivre l’auteur dans de nouveaux voyages. Beaucoup d’intellectuels furent des amis de l’auteur : Georges Sion, Jacques Errera, Suzanne Lilar, Jean Cocteau, Jean Lambert (beau-fils de Gide), Matsie Hadjilazaro (épouse d’Embiricos), Everett Austin (du Musée de Hartford), James Baldwin, Natalie Barney, Loulou de Borchgraeve, Borgès, Carlo Bronne, Emmanuel Boudot-Lamotte, Jeanne Carayon (correctrice chez Gallimard), Jean Chalon, Yannick Guillou, Maurice Dumay, Edmond jaloux… et des dizaines d’autres qu’il serait impossible de présenter ici. Elle se liait aussi très facilement à des gens simples, comme son voisin jardinier ou le charpentier et fêtait Halloween ou les Pâques avec les enfants de Northeast Harbor.
Les Animaux
Impossible d’évoquer les proches de Marguerite Yourcenar sans consacrer un chapitre à ses compagnons les plus fidèles : ses chiens. Dans un petit carnet qui avait appartenu à la sœur de son père, morte accidentellement à quinze ans, Yourcenar a rédigé un petit texte intitulé « Des chiens que j’aimais » : « Trier, Stop (le meilleur, que j’ai trahi en laissant mourir seul), K.K.Haï, Nellie, Peter ; Inki, Loki, Kalopidi, Teddy, Karl von…, (ceux-là n’étaient pas à moi, mais je les ai aimés comme miens), Myrrha, que je m’en voudrai toujours de ne pas avoir arraché à un mauvais maître, et qui le jour de mon départ de Fayence a suivi la voiture jusqu’à l’épuisement. Pardon, Myrrha. »
Trier
Son premier chien fut Trier, hérité de sa mère qui l’acquit à Trèves, en Allemagne, lors de son voyages « d’accordailles » avec Michel de Crayencour. Trier accompagna son enfance au Mont-Noir et fut relégué dans les écuries par la grand-mère Noémie. Atteint de la maladie du dos caractéristique des bassets, il dut être tué par le cocher lorsque la petite fille avait sept ans. Elle culpabilisa longtemps pour n’avoir pas entendu le coup de feu qui abattit ce premier compagnon et en garda rancune envers les adultes qui lui avaient caché leurs intentions, la privant d’un dernier contact avec l’animal. Il faut ajouter qu’au Mont-Noir, les contacts avec les animaux sont ceux des milieux campagnards pour qui l’animal est utile ou nuisible. La violence exercée contre cette espèce a effrayé la jeune Marguerite qui assistait, non seulement à des séances de chasse pénibles, mais aussi à des méthodes violentes pour éliminer les animaux jugés nuisibles. Elle fut ainsi obsédée par une chatte affolée après la noyade de ses petits dans une mare du Mont-Noir et que son demi-frère abattit d’un coup de fusil, au point d’en rêver de manière récurrente. Elle luttera, sa vie durant (et même au-delà) contre toute forme de violence envers les animaux.
Kou-Kou-Haï
Parmi les chiens qui furent ses compagnons, il faut citer le pékinois Kou-Kou-Haï auquel elle consacra un texte « Suite d’estampes pour Kou Kou Haï » paru dans Le Manuscrit autographe dans les années 30.
Monsieur
Acquis en 1955, l’épagneul « Monsieur » sera le compagnon de dix années. Ayant été l’hôte de Petite Plaisance, il jouit de sa tombe au fond du jardin. La phrase qui l’agrémente est de Shakespeare : « And still, my spaniel sleeps » (« et pendant ce temps mon épagneul dort ») qui évoque l’indifférence du chien aux événements familiaux. Il accompagna l’auteur durant ses voyages en Europe et intervient dans plusieurs écrits.
Valentine
Le cocker Valentine, nommée ainsi car elle fut acquise le jour de la Saint-Valentin, succède à Monsieur. Sa tombe porte un vers de Ronsard : « portant un gentil cœur dedans un petit corps ». Sa fin, en 1971, fut tragique pour Yourcenar. Elle avait traversé l’avenue où se trouve Petite Plaisance et appelé le chien pour qu’il la rejoigne : il traversa et se fit écraser par une voiture ! Yourcenar en fut si bouleversée qu’elle écrivit un « Tombeau de Valentine » racontant l’événement et qu’elle termine par les mots : « Tout un univers basculé, comme pour un être humain ». Cinq ans plus tard, elle écrira encore : « Je ne me consolerai jamais de cette petite et immense mort ».
Zoé
Zoé (« la vie ») succédera à Valentine et vivra 14 années, de 1971 à 1985. Il eut également droit à sa pierre tombale au fond du jardin.
Fou-Kou
Fou Kou (« bonheur » en japonais), succède à Zoé. C’est un caniche noir, dont le nom est sans doute lié à la présence de Jerry Wilson dans la vie de l’écrivain. Au décès de Marguerite Yourcenar, survenu en décembre 1987, c’est sa secrétaire, Jane E. Lunt, qui héritera de Fou-Kou.
Et les autres...
Yourcenar sera sensible au sort de tous les animaux. Elle s’habitua, ainsi, à la présence d’un écureuil qui présentait des rayures dans le pelage faisant penser à celles du gilet du maître d’hôtel du Mont-Noir et que Yourcenar nomma, dès lors, Joseph. Son engagement en faveur de la protection des animaux et des démunis, de la nature et de l’écologie furent précoces et se poursuivent au-delà de son décès, par volonté testamentaire.